Maintenant qu’une nouvelle vague d’infections au SARS-CoV-2 déferle sur la Belgique et la majorité de l’Europe, la pression par rapport à l’occupation des lits dans les hôpitaux et, plus précisément, dans les services de soins intensifs augmente à un rythme effréné. Au moment où nous écrivons ces lignes, le nombre de lits réservés pour le Covid-19 en soins intensifs dans notre pays a déjà été relevé à 25% de la capacité existante, mais personne ne peut prédire comment cela va se terminer si la pandémie n’est pas freinée: 30%, 40%, 50% ou plus… La menace d’en arriver, à un certain moment, à devoir trier les patients en fonction de leur espérance de vie n’est dès lors plus de l’ordre de la fiction.
Ces 6 derniers mois, il a été répété à maintes reprises dans la littérature que les patients atteints de cancer qui contractaient le SARS-CoV-2 présentaient un risque considérablement plus élevé de souffrir de complications graves et d’avoir besoin de soins intensifs et d’une assistance respiratoire, et qu’ils décédaient plus souvent des suites du Covid-19. Toutefois, il est important de nuancer le facteur de risque «cancer» pour la mortalité après une infection au SARS-CoV-2, afin d’éviter que des patients cancéreux (en rémission) reçoivent des soins sous-optimaux pour le Covid-19 lorsque le système de soins de santé se trouve sous une pression extrême.
Il s’agit d’un réel problème, qui a été illustré dans le cadre de l’étude TERAVOLT, une analyse de l’évolution du Covid-19 chez les patients atteints de tumeurs thoraciques (Thoracic Cancers International COVID-19 Collaboration) (1). Ce groupe a rassemblé dans un registre observationnel multicentrique les données cliniques de 200 patients atteints d’un cancer du poumon chez qui l’infection au SARS-CoV-2 a été diagnostiquée par PCR entre le 26 mars et le 12 avril 2020. Parmi ces patients, 152 (76%) ont été hospitalisés, dont 66 (33%) sont décédés. Il est intéressant de remarquer que seulement 13 patients (10%) sur les 134 qui répondaient aux critères d’admission aux soins intensifs de leur hôpital ont réellement reçu des soins intensifs et éventuellement une assistance respiratoire.
La littérature concernant la mortalité des patients atteints de cancer souffrant d’une infection au SARS-CoV-2 repose principalement sur des observations rétrospectives du premier pic de la pandémie. Étant donné que, dans de nombreux pays, les soins de santé réguliers ont été en grande partie arrêtés, il y avait un parti pris selon lequel les patients atteints de cancer hospitalisés constituaient une population présentant une morbidité lourde spécifique qui rendait nécessaire l’admission. Ils se trouvaient à la pire extrémité du spectre oncologique: maladie métastatique avancée, soins palliatifs, complications d’une chirurgie ou d’un traitement systémique et comorbidité exigeant des soins urgents (par ex. AVC, crise cardiaque, etc.). Pendant cette période, le traitement des maladies thrombotiques, des problèmes respiratoires et des septicémies chez les patients Covid-19 était dans une courbe d’apprentissage, et les antiviraux et corticostéroïdes n’étaient pratiquement pas utilisés, entraînant un succès inférieur des traitements par rapport à ceux dont nous disposons 6 mois plus tard. Il est uniquement possible de tirer des conclusions valables concernant la mortalité du Covid-19 si elles sont également corrigées en tenant compte de l’âge, du sexe, de l’indice de masse corporelle et des comorbidités, qui ont un effet bien plus important sur le pronostic qu’un diagnostic de cancer. Dans de nombreux rapports, cela n’a malheureusement pas été le cas (2, 3). Bien que le nombre de patients, dans la plupart des études, soit trop limité pour des analyses fiables des sous-groupes, il apparaît clairement que ce sont surtout les patients atteints de tumeurs solides actives localement à un stade avancé ou métastatique qui présentent le plus grand risque de décéder des suites du Covid-19 (2-6). La plupart des autres patients ont un excellent pronostic Covid-19 si l’on prend en compte uniquement leur statut oncologique.
Dans une analyse de 10.486 patients adultes atteints de Covid-19 enregistrés dans la base de données belge de Sciensano jusqu’au 24 mai 2020, le taux de mortalité hospitalière à 30 jours des patients souffrant d’un cancer était plus élevé que celui de la population moyenne (OR: 1,34; IC 95%: 1,13-1,58). Cet effet était le plus marqué pour les patients jeunes (< 60 ans; OR: 3,84; IC 95%: 1,94-7,59) et les patients sans comorbidité (OR: 2,27; IC 95%: 1,41-3,64) (6). En ce qui concerne le critère d’évaluation de l’étude «comorbidité grave», il n’y avait toutefois pas de différence entre les populations cancéreuse et non cancéreuse ou entre les divers sous-groupes.
Le UK Coronavirus Cancer Monitoring Project avait pour objectif d’étudier l’effet du type de tumeur primaire, de l’âge et du sexe sur la prévalence et le taux de mortalité pendant une hospitalisation entre le 18 mars et le 8 mai 2020 au Royaume-Uni (7). Quelque 1.044 patients atteints de cancer ont été repris dans ce registre, dont 295 sont décédés des suites du Covid-19. Après correction en tenant compte de l’âge et du sexe, il s’est avéré que seuls les patients atteints d’un cancer hématologique traités récemment par chimiothérapie présentaient un risque accru de décès par rapport à la population moyenne (OR: 2,09; IC 95%: 1,09-4,08). Bien que les patients atteints de différents types de tumeurs solides semblaient présenter une susceptibilité différente au SARS-CoV-2, il n’a pas été possible d’établir une mortalité accrue après une analyse multivariée corrigée, et ce pour aucune des tumeurs solides dans cette base de données. Même dans ce projet de grande envergure, les chiffres des types de tumeurs individuels restent trop faibles pour pouvoir tirer des conclusions fiables.
Elizabeth Robilotti et al. ont rassemblé 423 patients atteints d’un cancer présentant une forme symptomatique de Covid-19 au sein du Memorial Sloan Kettering Cancer Center entre le 10 mars et le 7 avril 2020. 40% d’entre eux ont été hospitalisés, 20% ont développé des problèmes respiratoires sévères (parmi lesquels 9% ont dû recevoir une assistance respiratoire mécanique) et 12% sont décédés dans les 30 jours. Les facteurs prédisposants pour une hospitalisation et une forme grave de Covid-19 étaient principalement un âge supérieur à 65 ans et un traitement par inhibiteur de point de contrôle immunitaire, contrairement à une chimiothérapie récente ou à une chirurgie majeure. Une fois encore, le nombre absolu de patients était trop bas pour une analyse des sous-groupes.
Pour conclure, nous pouvons affirmer que notre connaissance des implications du Covid-19 chez les patients atteints de cancer et de l’effet de leur traitement oncologique est limitée, mais que le pronostic pour la majorité des patients cancéreux (en rémission) atteints du SARS-CoV-2 est excellent. Dès lors, ils ne peuvent a priori jamais être exclus des soins intensifs maximalistes (9). Une concertation avec l’équipe d’oncologie qui les suit est d’une importance capitale pour pouvoir estimer correctement leur pronostic oncologique de manière individuelle, de sorte à pouvoir en tenir compte dans les décisions en vue d’un traitement optimal du Covid-19.
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