La limitation projetée des suppléments d’honoraires dans les soins ambulatoires risque, pour de nombreux médecins, d’annoncer « le début de la fin ». « Si ce plan est mis en œuvre, des cabinets disparaîtront, les délais d’attente s’allongeront et les hôpitaux seront surchargés », avertit la gynécologue bruxelloise Iphigénie de Selliers dans un entretien accordé à l’édition belge du magazine économique Forbes.
Il est exceptionnel que Forbes s’intéresse à la situation des médecins belges. Mais le projet de plafonner les suppléments dans l’ambulatoire à 25 % suscite une telle controverse que la publication y consacre un article intitulé « Ce que la réforme des honoraires ne dit pas sur l’avenir du soin en Belgique ». Au nom d’un collectif de gynécologues bruxellois, la praticienne y lance un message sans ambiguïté : cette réforme touche aux fondements mêmes d’une médecine de qualité.
Le ministre de la santé, Frank Vandenbroucke, défend son plan en affirmant que les suppléments rendent les soins inabordables. Iphigénie de Selliers réfute cet argument : « Selon les chiffres du KCE, à peine 0,9 % des Belges ont reporté des soins en 2023 pour des raisons financières. Et cela concernait surtout les soins dentaires et les généralistes, pas les spécialistes. »
Elle rappelle en outre que « les bénéficiaires de l’intervention majorée sont déjà exemptés de suppléments. Et la moitié des patients disposent d’une assurance hospitalisation ou complémentaire qui rembourse tout ou partie de ces frais. Les autres font un choix conscient : ils veulent plus de temps, plus d’attention et acceptent de payer un peu plus. »
« Pas un luxe, une nécessité »
Pour la gynécologue, les suppléments ne constituent pas un luxe, mais une condition pour continuer à offrir des soins de qualité. « Nous prévoyons des consultations d’au moins une demi-heure, nous répondons aux urgences – y compris le soir et le week-end – et nous investissons en permanence dans la formation et le matériel. Cela est impossible avec un tarif de base de 33 euros. »
Les médecins indépendants, souligne-t-elle, assument seuls l’intégralité des coûts. « Des échographes aux assurances en passant par les logiciels : nous payons tout sans aucun soutien de l’État. Une simple lampe LED coûte déjà mille euros. Cela en dit long. »
Au-delà des cabinets, l’impact de la mesure se ferait sentir sur tout l’écosystème. « Si les médecins indépendants disparaissent, ce sont aussi les emplois administratifs, techniques et chez les fournisseurs qui s’évaporent. Le marché des assurances complémentaires serait lui aussi fragilisé : avec moins de suppléments à rembourser, il se contracterait, avec des conséquences sur l’emploi et sur les recettes fiscales. Ce plan ne regarde que le court terme et ignore ses effets à long terme. »
Trois angles morts
Selon elle, le projet de Frank Vandenbroucke souffre de trois « angles morts ».
Le premier est la suppression de la convention partielle. « Cette souplesse permet aux médecins de maintenir leur activité viable. Sans cette liberté, on enferme les jeunes praticiens dans un carcan : soit ils travaillent dans des conditions financièrement intenables, soit ils renoncent avant même d’avoir commencé. »
La nomenclature constitue le deuxième problème. « Nous travaillons encore avec des tarifs d’une autre époque, qui ne tiennent pas compte des réalités actuelles : consultations longues, travail multidisciplinaire et innovations technologiques permanentes. »
Enfin, il y a la question des suppléments en milieu hospitalier. « Dans certaines institutions, jusqu’à la moitié des suppléments alimentent directement le budget de l’hôpital. Penser qu’on peut couper cette manne sans lourdes répercussions relève de l’illusion. »
Une cascade de conséquences
Si la réforme est menée à terme, prévient Iphigénie de Selliers, une « réaction en chaîne » s’enclenchera : « Les cabinets spécialisés fermeront, les délais d’attente exploseront, les hôpitaux seront saturés. Et les jeunes médecins tourneront le dos au modèle indépendant. » Elle souligne que les inégalités de santé ne feront que s’accroître, en particulier hors des grandes villes.
Un autre risque guette, selon elle : « la désertification médicale ». « Si l’exercice libéral ne devient plus viable, beaucoup renonceront à s’installer. L’injustice se renforcera, surtout dans les zones semi-rurales et les périphéries urbaines, où la pénurie est déjà palpable. »
Transparence plutôt que suppression
Pour la praticienne, d’autres voies sont possibles. « Il faut réformer la nomenclature, donner plus de place aux soins intellectuels et préventifs. Les suppléments doivent être encadrés par la transparence et le contrôle, pas par l’abolition. Et il faut préserver la convention partielle, surtout pour les jeunes médecins. Sinon, on se tire une balle dans le pied. »
Elle conclut sur une mise en garde sans détour : « Aujourd’hui, nous avons le sentiment d’être constamment suspectés. Mais personne ne choisit ce métier pour devenir riche ou rouler en cabriolet. Nous le faisons par vocation. Si vous détruisez ce fondement, le système finira inévitablement par s’effondrer. »









Derniers commentaires
Thierry Devigth
02 octobre 2025"Mais personne ne choisit ce métier pour devenir riche ou rouler en cabriolet. Nous le faisons par vocation."
Évidemment mais "faire" médecine ne signifie pas faire vœu de pauvreté. Et pourquoi ne pourrait-on pas rouler en cabriolet? De toutes les professions libérales nous sommes les plus malmenés. Toutes les autres ont autant de contrôles et de contraintes légales que les soignants mais leurs honoraires sont libres, ils ne sont pas imposés par l'État. Pourquoi? Parce que Vdb déteste les médecins et que son idole Trotsky les a menés au goulag. Allez vdb encore un petit effort, vous y êtes presque.
Bernard CAUCHETEUR
29 septembre 2025Tout à fait raison.